Année A : mercredi de la 24e semaine ordinaire (litao24me.20)
Lc 7, 31-35 ; 1 Co 12, 31 – 13, 13 : Y-a-t-il plus humain que Jésus ?
Allez jouer sur la place publique. Difficile de ne pas y entendre un appel à une vie hors norme. Hors norme, ne signifie pas légèreté, frivolité, désinvolture. Hors norme, c’est la cartographie (ou topographie ?) du chrétien. Pour faire connaître la foi chrétienne, l’auteur de la lettre à Diognète, au IIe siècle, décrit leur manière de vivre. Les chrétiens sont des gens ordinaires comme tout le monde, mais capables de la joie du partage. Cela fascinait les non-chrétiens.
Hors norme est celui qui ne s’enferme pas dans un légalisme ou un moralisme étouffant. Hors norme est l’attitude de Jésus. Il est perçu comme une espèce de «dérangé» mental; il n’a qu’une ambition, non celle de voir la vie en rose, mais celle d’introduire un regard de fraicheur, de joie, au milieu de situations mêmes les plus dramatiques. Jésus ne perd jamais la capacité de faire jaillir la joie.
Contrairement à ce que l’on peut en dégager, cette scène ne parle pas d’une société liquide, de désinvolture, de frivolité. Elle présente un Jésus joyeux troubadour bien incarné dans son quotidien et qui ne perd jamais le sens de sa mission : faire surgir la joie ; faire jaillir la vie, faire surgir la lumière. La vie ne surgit pas dans la crispation, à partir de normes statiques, rigides.
Jésus, et cela choque la société théocratique de son temps, éclabousse beaucoup de penseurs en affirmant que même les plus fracassés, les plus «impurs» ont aussi accès à Dieu. Ils sont même les privilégiés à sa table. Allez chercher ceux qui sont dehors parce que les invités ne veulent rien savoir (cf. Mt 22, 1-14). Jésus est hors norme parce qu'il s’adresse à tout le monde, mange avec toute sorte de monde, danse de joie sur les routes du monde. Paul en est un exemple probant. Tout le monde, toutes les générations proclameront leur joie d’être des élus de Dieu, danseront de joie de partager sa table.
Il y a un passage où Luc écrit que la joie des disciples d’Emmaüs est tellement grande qu’ils n’y croient pas (cf. Lc 24, 41). Il faut relire ce passage. Se l’approprier. Que le Dieu vous remplisse de joie (cf. Rm 15, 13). Rappelons-nous l’appel de Néhémie au peuple: Soyez tranquilles, à présent ne pleurez plus, conservez la joie, car la joie dans le Seigneur est votre force (cf. Ne 8,1-12).
Jésus n’énonce pas une doctrine à suivre, une morale ou une éthique à promouvoir, à respecter à la lettre si l’on veut être sauvé. Il n’élabore pas un stratagème pour privilégier une idéologie plutôt qu’une autre. Une religion plutôt qu’une autre. Au temps de Jésus, il y a déjà plus de quatre religions ou manière de comprendre la loi de Moïse : esséniens, pharisiens, saducéens, zélotes. Jésus ne prend pas position pour l’une ou pour l’autre. Il n’entre pas en guerre sainte contre elles. Hors norme, Jésus se préoccupe du sacré. Il se préoccupe de l’humain. Il a trois préoccupations qui font rager les leaders du sacré » : la santé humaine, la nourriture partagée, les relations humaines racontées dans les paraboles. Il se débat corps et âme jusqu’à risquer sa vie pour promouvoir un royaume, une terre débordant d’accueil, d’humanisme, de solidarité.
Avec cette scène de Jésus accusé d’être hors norme, Luc énonce que la priorité du croyant n’est pas de suivre aveuglément un système ou une liste de comportements à ne pas dévier. La priorité est de vivre décontracté, hors norme, de préférer se tenir sur les parvis plutôt que dans le temple, même aux heures de grandes épreuves. Pas nécessairement facile. Quand cette mémoire de notre appartenance à un peuple marqué du sceau de la joie fait défaut, nous devenons les promoteurs d’une religion qui ne fascine plus. La religion a remplacé l’évangile (cf. Cartillo, Jose, La humanidad de Jesús, 2016)
Si nous vivons bien notre foi en Jésus, ni personne ni les scandales qui affectent notre Église ne sauront nous enlever la joie, parce que notre rencontre avec Jésus nous aura fait basculer dans le monde de son Père plutôt que dans une des nombreuses institutions que se proclament de lui.
Paraphrasant la lecture de Paul, je nous dis : j’aurais beau pratiquer le plus parfaitement les commandements de Dieu et de l’Église, si je n’ai pas la joie que dégage l’Évangile jusqu’à danser sur les places publiques, je ne suis qu’une cymbale. Nous vivons cette joie d’une manière confuse, un jour nous la vivrons en plénitude. AMEN.
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