Année A : mercredi de la 23e semaine ordinaire (litao23me.20)
Lc 6, 20-26; 1 Co 7, 25-31 : un coup de gueule.
Ce récit des béatitudes est un véritable coup de gueule contre l’exclusion, pour reprendre le titre d’un livre de Jacques Gaillot, évêque congédié de son diocèse par l’autorité romaine. Son crime fut de s’occuper des exclus que sont les prisonniers, de réclamer pour tous les droits de la personne, de protester contre les armes nucléaires, de se prononcer contre le célibat obligatoire des prêtres, de se positionner pour les préservatifs pour réduire les avortements.
Jésus a été condamné pour être la voix des autres, ceux qui sont sans voix, sans foyers, sans-patrie, sans droits, des migrants, des prisonniers, des prostituées. Son crime : être du côté de tous les écrasés par les injustices à leur égard. Jésus s’adresse à ceux qui se sentent abandonnés par Dieu.
Les béatitudes sont un code pour abolir les frontières, pour abattre les murs, pour ouvrir les cellules, rompre les verrous, pour effacer l’exclusion, pour annoncer la fraternité et l’égalité. C’est la lecture qu’en a faite le pape François dans ses catéchèses sur les béatitudes de janvier à avril 2020. Il les décrit comme la chartre de l’identité chrétienne[1]. Il les termine par un appel à ne pas nous décourager quand une vie cohérente avec l’Évangile attire les persécutions des gens : l’Esprit nous soutient sur cette voie[2].
La traduction qu’en donne Chouraqui confirme cet appel de Jésus à un changement de culture : En marche les pauvres, les humbles, les doux, les affamés et assoiffés de justice. Jésus nous propose une sobriété heureuse. Un mode de vie libérée d’une culture qui nous fait nous regarder dans la glace et ne s’occuper que de soi[3]. Jésus invite non seulement à être sobre, mais à être heureux de l’être; à nous détourner de la consommation excessive et de tout posséder.
Ce chemin est toujours à recommencer. Toujours recommencer à offrir une table aux gens de la rue. Toujours recommencer à s’arrêter pour donner un peu de vie à ceux qui n’ont plus le goût de vivre. Toujours recommencer : la manière pure de pratiquer la religion, c’est de venir en aide à ceux qui sont dans le malheur (1 Jc 25-26). Ce chemin ne se trouve pas. Il se construit, se décide chaque jour.
Le vrai bonheur ne réside ni dans la richesse, ni dans le bien-être, ni dans la gloire humaine, ni dans le pouvoir. Il exige que nous tournions le dos à la direction que nous voudrions spontanément vivre[4]. Ce discours est plus qu’un appel à prendre soin des autres, plus qu’un appel à la solidarité. Il appelle à devenir hôpital de campagne.
La récente pandémie nous a fait découvrir l’urgence d’un autre chemin de bonheur que la richesse, la surconsommation, le développement incontrôlé de la terre, etc. On est favorable à la question de l’environnement, disait l’ancien président Bush (père) en 1992, mais la condition du niveau de vie des États-Unis n’est pas négociable. Toute la question du bonheur est là : négocier une autre manière de vivre. Le théologien orthodoxe Evdokimov a une belle réflexion quand il écrit : le bonheur, nous savons ce qu’il est, mais nous ne savons pas où il n’est pas.
Déclarer heureux celui qui abat toute frontière entre national-étranger, monde-Église, clerc-laïc, croyant-incroyant, profane-sacré-e, matériel-spirituel, humain-divin, est un programme qui révolutionne nos manières de vivre. Il n’y a plus ni juifs, ni grecs, ni domination de l’homme sur l’homme. Plus qu’un catalogue de permis-défendus, les béatitudes sont le pinacle de la loi nouvelle. Le vrai bonheur : tu aimeras ton Dieu et ton prochain (Mt 22, 36-40). Nous voilà bien dans un autre monde. Oublier ou refuser ce chemin, c’est nous expulser des béatitudes. Que nous sommes rebelles au chemin du bonheur tracé par Jésus. Nous préférons la loi qui l’assouplit, l’encadre, la formate.
Toute la question est de savoir comment et où retrouver la normalité des béatitudes. Pas celle fondée sur une malsaine compétition, pas celle de nos démons internes, de notre cupidité, pas celle de la croissance insoutenable, pas celle de la spoliation des forêts, mais celle de la normalité de la compassion, de la solidarité. Nouvelle normalité pour une nouvelle communauté mondiale. Un projet est tracé : promouvoir une sobriété heureuse. AMEN.
Autres réflexions sur le même passage :
[2] http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2020/documents/papa-francesco_20200429_udienza-generale.html
[3]http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/messages/poveri/documents/papa-francesco_20200613_messaggio-iv-giornatamondiale-poveri-2020.html
[4] Benoît XVI, Jésus de Nazareth, t.1, Paris, Flammarion, 2007, p. 119
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