2020-A- Jn 6, 60-69- samedi 3e semaine de PÂQUES - fais de ta maison un ciel
Année A : samedi de la 3e semaine de Pâques 2 mai
Jn 6, 60-69 ; Ac 9, 31-42 : fais de ta maison le ciel
En conclusion de sa longue réflexion sur l’eucharistie, Jean observe que le message de Jésus ne passe tout simplement pas. Plutôt que de susciter l’admiration, Jésus provoque la colère. Il choque. Qui est-il pour nous donner sa chair à manger (Jn 6, 52) ? Cette parole est rude ! Qui peut l’écouter (v.60)? Certains ne croient pas cela (v.64) et beaucoup vont le quitter (v.66). Et vous, nous demande Jésus, voulez-vous partir ?
Dans son chapitre six, Jean rapporte le souvenir qu’ont retenu les témoins du dernier repas de Jésus avec eux. Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim. Au puits de Jacob, il avait dit à la samaritaine que celui qui boit de cette eau n’aurait plus jamais soif (Jn 4, 14). Depuis ce temps, nous n'avons jamais cessé de renouveler cette mémoire d’un geste mystère pour les uns, scandale pour d’autres.
Quelle est notre souvenir de ce je suis qui te parle (Jn 4, 26) ? De ce Je suis le chemin et la vie (Jn 14, 6) ? Même si les textes officiels insistent pour dire qu’il s’agit de nous souvenir du sacrifice de Jésus, langage qui ne passe plus dans notre culture, le souvenir qu’en garde les chrétiens aujourd’hui est celui d’un repas. L'expérience de la vie nous apprend que la fraternité s'approfondit lorsqu'on mange ensemble. C’est bien le but du dernier repas de Jésus avec les siens. D’être ensemble sans fusion, sans confusion ni mélange. On est Lui et Lui demeure soi. On est tout ce qu’il est. On a tout ce qu’il a (Robert de Langeac).
Nous faisons mémoire d’un repas recréateur de beaucoup plus que de notre intimité retrouvée avec Jésus, de beaucoup plus que de son amour suprême. Nous faisons mémoire d’une table qui recrée la fraternité en nous. Ensemble, nous rompons le pain en présence et avec Jésus. Tel est le mystère dont parle Paul. Il est accessible à tous, même les païens, les non-pratiquants, dirions-nous aujourd’hui.
Ce pain est une proclamation du ciel sur la terre quand nous vivons pleinement en être de relation. Jésus a fait advenir ce ciel sur la terre en prenant le temps de s’asseoir à toutes les tables. Au terme de sa vie, il a fait de la table un lieu festif avec ses apôtres, incluant même un ennemi. Toi, fais de ta maison le ciel. Tu le feras, non en changeant les murs ni en transformant les fondations, mais en invitant à ta table le Seigneur des cieux. Dieu n’a pas honte de tels repas (Jean Chrysostome).
Ce pain fait vivre la gestation d’un monde en parfaite communion qui ne sera jamais accomplie ici-bas. Il n'y a rien de mal à nous courber devant la présence réelle ; de nous exposer à elle dans un face-à-face avec lui, comme le suggérait au terme de chaque eucharistie le pape durant la crise de coronavirus. Il s’agit de faire mémoire de beaucoup plus que cela. Il s’agit d’être pain de présence réelle qui fait émerger l’humain, qui le remet debout. Le pain de Pâques est renaissance et solidarité qui chantent un renouveau d’humanité. Il n’y a rien de meilleur que de nous asseoir ensemble à une même table, pour recevoir, échanger, manger, éprouver que nous sommes participants d’une même famille. De nous faire gouter à la joie de savoir Dieu en nous et de savourer notre joie d’être en Dieu. À cette table, nos corps deviennent divinisés.
Ce que Jésus nous propose va au-delà de ce que nous sommes capables d’imaginer ; au-delà de ce que nous pouvons penser. Il ne s’agit pas seulement de voir une présence réelle dans un ostensoir ou dans un petit tabernacle. Il s’agit d’être transformés en lui, de faire corps avec lui pour devenir à temps complet présence réelle auprès des travailleurs humanitaires, ceux de nos hôpitaux ou qui traversent des nuits obscures (Jean de la Croix). Les auditeurs de Jésus ne se trompaient pas quand ils trouvaient cela inimaginable.
Le lecteur attentif de l’évangile perçoit rapidement que chaque geste de Jésus, chacune de ses paroles sont une véritable nourriture. Les béatitudes, les rencontres de Jésus, les paraboles sont des tables ouvertes qui redynamisent et ressuscitent. Jésus dit des paroles et fait des gestes qui remettent en marche. Où adorer Dieu, demande une femme écrasée de soif de vivre ? Réponse désarmante, décapante : ni sur cette montagne, ni à Jérusalem, mais en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 21). Le sacré est partout.
En conclusion, ces paroles de Philoxène de Mabboug (évêque syrien du Ve siècle) qui gardent leur actualité : Viens t’asseoir, ô disciple, à la table du monde qui est pleine de la nourriture de la vie, parce que celui qui ne s’en nourrit pas n’a pas la Vie dans sa vie. Viens pencher ton oreille et entendre, viens ouvrir tes yeux et voir les prodiges qui sont montrés par la foi. Viens te former des yeux nouveaux, viens te créer des oreilles invisibles. C’est pour entendre des choses invisibles que tu es invité : des oreilles invisibles te sont nécessaires. C’est pour voir des choses spirituelles que tu as été appelé : ce sont les yeux de l’Esprit qui te sont utiles.
Ce sont ces yeux qui ont poussé Pierre à relever de la mort cette femme Tabitha pour qu’elle poursuive sa vie de service des autres et qu’elle maintienne sa générosité alerte. AMEN.
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