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Lettre pastorale pour le 125e anniversaire du diocèse de Valleyfield

Date: 
Lundi, 29 mai, 2017 - 14:45

HÉRITAGE

 

Quand on parle d’héritage, on se tourne vers le passé, ce qui implique de se souvenir ou de faire mémoire, de reconnaître, d’accueillir l’héritage afin de le transmettre. Qu’un vibrant témoignage soit rendu à la fidélité des bâtisseurs et des prédécesseurs, qu’ils aient été de riche ou d’humble condition, qui sont demeurés fidèles à la Parole de Dieu, à l’Église, à la foi catholique! Ils nous ont légué un précieux héritage à transmettre à notre tour.

 

Cependant, le travail de mémoire n’a d’intérêt que lorsqu’il sert la vie. Ce qui importe, c’est de se souvenir de la foi de nos ancêtres, c’est nous rappeler comment ils ont vécu leur foi, quelles épreuves ils ont surmontées, quelles convictions les animaient, et comment ils ont eu le souci de leur descendance. Ils avaient la capacité de voir plus loin que le petit monde qu’ils avaient devant les yeux, Ils étaient capables d’affronter des obstacles, d’espérer au-delà de toute espérance, de résister. Ils puisaient leur force dans la foi, ils savaient s’engager, combattre et rester fidèles.

 

La foi, c’est la capacité d’entreprendre : les bâtisseurs du diocèse nous montrent le chemin. Ils se sont engagés, transformant l’impossible, l’improbable, l’insupportable en perspectives prometteuses. La foi, c’est la capacité d’espérer sans faire abstraction de la réalité, tout en contemplant un horizon plus large que ce qu’on perçoit.

 

Nos ancêtres nous ont laissé un riche héritage qui est inscrit dans la pierre de toutes ces belles églises, chapelles, presbytères, monuments, écoles, hôpitaux, mais aussi dans ces tableaux, ces sculptures, ces vitraux, ces statues, ces autels, ces lampes qui ornent nos églises. Cet héritage se retrouve aussi dans nos cimetières et dans tous ces lieux de recueillement, comme les croix de chemin…Et, trésor encore plus précieux, nos ancêtres nous ont légué des traditions, des coutumes, des valeurs familiales et sociales, un art de vivre qui s’inspire de l’Évangile.

 

Nous faisons mémoire de Jésus, de son enseignement, de ses gestes, non pour nous raconter une belle histoire, mais pour actualiser et rendre vivante sa Parole aujourd’hui, Parole qui donne sens et saveur à nos vies. Ainsi, à l’Eucharistie, nous faisons mémoire du dernier repas de Jésus avec ses disciples pour rendre présentes la vie et la personne de Jésus, vrai pain de vie. Notre passé collectif en Église est vécu à travers un souvenir soigneusement réactivé par la foi.

 

Rappeler les bienfaits de Dieu, ses merveilles, c’est aussi célébrer Dieu. Comme chrétiens et chrétiennes, nous accédons à la nouveauté radicale de la résurrection en passant par un chemin de mémoire. Nous lisons, méditons et nous nous rappelons les faits et gestes de l’histoire du salut dans l’Ancien Testament, et nous nous souvenons des gestes et de l’enseignement de Jésus pour mieux en vivre aujourd’hui et faire du neuf aujourd’hui. « Rappelez-vous comment il vous a parlé » (Lc 24, 13-35). Pour nous chrétiens, la créativité de la mémoire se vit sous le signe de l’Esprit Saint. « L’Esprit Saint que le Père vous enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26).

 

La foi, c’est aussi cette capacité de prendre un risque avec joie et confiance, un risque fécond d’avenir. Car nous ne sommes pas seuls. Notre foi s’appuie sur la Parole de Dieu, sur la communauté, cette grande famille de chrétiens unis dans la foi et qui se rassemblent pour célébrer l’amour qui les unit et leur espérance. Dieu est avec nous, et Il a pris ce risque immense par amour pour nous : le risque d’avoir assumé notre vie et notre mort en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, venant à notre rencontre, et nous ouvrant le chemin.

 

PRÉSENCE : À DIEU ET AU MONDE

 

L’Église est là pour annoncer le salut offert en Jésus. L’Église est germe, signe et instrument du Royaume. L’Église est signe et rappel de Dieu comme source du salut pour l’humanité, comme mystère et comme avenir du monde. Mais l’Église n’existe pas pour elle seule : elle a été fondée pour annoncer et construire le Royaume. Sa mission, c’est de reconnaître la présence du Royaume à l’intérieur d’elle-même mais aussi en-dehors d’elle-même. La réalité commencée du Royaume peut se trouver au-delà des limites de l’Église dont l’action ne se limite pas à ceux et celles qui acceptent son message. Plus que jamais, comme Église, nous sommes appelés à nous décentrer par rapport au Royaume et par rapport au monde. Dans le décret Gaudium et Spes de Vatican II, on lit à propos de l’Église : « Qu’elle aide le monde et qu’elle reçoive de lui… que vienne le Règne de Dieu et que s’établisse le salut du genre humain ».

 

Pas étonnant que le pape François parle d’une Église en sortie, d’une Église missionnaire, d’une Église qui rejoint les périphéries où vivent tant d’exclus, de marginalisés de nos sociétés et de notre monde. C’est ce qu’il exprime dans La Joie de l’Évangile et dans tout son enseignement. Pas étonnant que le pape François nous interpelle à être une Église avec les pauvres de la terre, avec les démunis, avec les réfugiés, les migrants, les victimes de l’injustice, de la haine et de la guerre.

 

C’est dans cette ligne de pensée que les évêques du Québec ont publié un document où nous sommes conviés à prendre le tournant missionnaire dont parle le pape François. Ce tournant missionnaire exige une conversion de nos attitudes, de nos cœurs, de nos structures administratives et paroissiales et de notre style de vie.

 

Si l’Église n’est pas une fin en soi et qu’elle est là en vue du Royaume, nous devons sans cesse inventer des voies pour que ce Royaume de justice, de paix et d’amour advienne. Nos institutions, nos structures et nos moyens d’évangélisation ne sont pas éternels ou inchangeables. Le pape François rappelle que la paroisse n’est pas caduque et qu’elle peut continuer à être un lieu important d’évangélisation et de construction du Royaume. Mais elle doit demeurer ouverte et capable de transformation.

 

Tous et toutes, nous sommes appelés à une conversion pastorale, à faire Église autrement. De plus, L’Église se doit d’être présente au monde, être capable de franchir les frontières dans le dialogue, la communion et avec les personnes de bonne volonté. Jésus est à l’œuvre dans toutes ces personnes de bonne volonté qui, librement, travaillent à l’avènement de cette terre de justice et de fraternité, à l’avènement de cette maison commune où tout être humain peut avoir se part de bonheur, de pain, d’amour et de paix.

 

Ensemble, dans une attitude d’ouverture, de dialogue et de respect, nous sommes invités à être partenaires du projet de Dieu qui, en Jésus, veut aujourd’hui une humanité nouvelle, une terre nouvelle, des cieux nouveaux. Que l’Esprit de Dieu nous fasse devenir des disciples-missionnaires, des êtres de Béatitude, des personnes habitées de la vie de Dieu! Que l’Esprit nous fasse découvrir que le Royaume de Dieu est déjà nôtre lorsque nous faisons miséricorde, lorsque nous recherchons la justice, lorsque nous soignons les blessés de la vie et les cœurs brisés, lorsque nous semons la paix, lorsque nous vivons en harmonie avec nos frères et sœurs et avec notre mère la terre!

 

ESPÉRANCE

 

L’héritage de foi qui nous a été transmis n’a de valeur que s’il sert la vie, ici et maintenant. La mémoire nous tourne vers le passé pour mieux comprendre et vivre le présent, et pour regarder et préparer l’avenir avec lucidité et confiance. L’espérance, voilà le troisième élément de notre thème du 125e anniversaire de fondation de notre diocèse. Nous voulons que les fêtes et célébrations du 125e ne célèbrent pas seulement le passé, mais nous orientent vers l’avenir.

 

Est-ce que notre diocèse a de l’avenir? Est-ce que nos paroisses et nos communautés ont de l’avenir? Si nous considérons les chiffres et les nombres, nous pourrions parler d’une décroissance à bien des points de vue, tant au plan des ressources humaines que financières. Le nombre de fidèles diminue, les demandes de baptême, de mariage, de funérailles à l’église sont à la baisse. La relève du personnel pastoral (prêtres, diacres, agentes et agents de pastorale) est problématique. La présence et l’action des communautés religieuses sont limitées. La participation des familles et des jeunes demeure faible malgré tous les efforts faits au niveau de la catéchèse et de la formation à la vie chrétienne.

 

Au plan du rayonnement de l’Église dans la société, nous pouvons nous plaindre de sa quasi-absence dans les medias; il semble que l’Église ne fait les manchettes seulement lorsqu’il y a scandale. Parler d’avenir uniquement en termes de chiffres et de résultats peut susciter le découragement et le désengagement. À quoi bon?

 

Notre vision de l’avenir nécessite un autre regard, celui de l’espérance. Notre espérance chrétienne nous dit qu’il y a de l’avenir en Dieu, ce Dieu de l’impossible et de l’imprévisible. Oui, le Royaume de Dieu est déjà là! À nous d’en voir les signes! À nous d’en être les signes! Le Royaume de Dieu est déjà là dans toutes ces personnes qui, bénévolement et généreusement, se dévouent auprès des malades et des pauvres. Il est déjà là dans tous ces projets qui cherchent à remettre debout tant de gens qui ploient sous le fardeau de la misère, du rejet, de l’exclusion ou de la dépendance. Il est dans ces jeunes qui participent à la Guignolée ou à des activités d’entraide. Il est dans ces groupes d’aînés qui se rencontrent pour les repas partagés, ou qui se rassemblent pour méditer la Parole ou prier ensemble, brisant ainsi l’isolement et l’absence.

 

Il est dans ces paroisses et régions qui se préparent à accueillir des réfugiés. Il est dans cette collaboration avec les groupes de citoyens pour défendre les droits des personnes vivant sous le seuil de la pauvreté. Il est dans ces comités de chrétiens, jeunes et moins jeunes, qui se réunissent pour trouver des voies nouvelles de faire Église autrement dans la coresponsabilité et la communion des cœurs et des esprits. Il est dans tous ces bénévoles qui apportent leur contribution à l’animation de leur communauté. Il est dans toutes ces personnes qui œuvrent au développement et à la paix dans le monde.

 

Depuis novembre 2016, dans ses homélies et ses audiences, le pape François nous parle d’espérance. L’espérance chrétienne, nous dit-il, est « dynamique et donne la vie ». Selon le pape, il ne s’agit pas d’optimisme mais « d’attente ardente ». L’espérance n’est pas : «  la capacité de regarder les choses avec un esprit positif et aller de l’avant. Non, ça, c’est de l’optimisme, ce n’est pas de l’espérance […]. L’espérance est un risque, c’est une vertu risquée, comme dit saint Paul, une attente ardente de la Révélation du Fils de Dieu […]. Avoir l’espérance, c’est être tendu vers cette révélation, vers cette joie qui remplira notre visage de sourires. L’espérance est une ancre, une ancre fixée à la rive de l’au-delà. Et notre vie, c’est justement marcher vers cette ancre : délestons-nous de nos conforts ». (Audience générale, 29 octobre 2013).

 

Le pape François nous interpelle : où sommes-nous ancrés, chacun de nous? Là où c’est confortable et sûr? Ou bien en Dieu qui nous appelle à sortir de nous, à donner notre vie? Saint Paul utilise l’image de l’accouchement pour parler de l’espérance. En effet, nous sommes dans l’attente comme pour un accouchement. L’espérance est dans cette dynamique de « donner la vie », sachant que l’Esprit travaille même s’il ne se voit pas. Il est comme ce petit grain de moutarde qui à l’intérieur est plein de vie, de force et qui va de l’avant « jusqu’à devenir un arbre ».

 

D’où la nécessité de ne jamais perdre l’espérance, de continuer à croire en découvrant les signes du Royaume, en reconnaissant les germes du Royaume dans notre monde et dans nos sociétés et dans nos communautés chrétiennes, en reconnaissant les signes de renouveau qui annoncent des lendemains radieux.

 

Pour le pape François, le secret de l’espérance chrétienne, c’est que nous ne sommes pas seuls pour espérer. Si nous espérons, dit-il dans l’audience du 7 février 2017, c’est parce que « tant de frères et sœurs nous ont appris à espérer ». L’espérance chrétienne n’est pas seulement personnelle, elle est communautaire, ecclésiale. L’Église, rappelle le Saint Père, est le corps de l’espérance chrétienne : à la communauté chrétienne de la transmettre et de s’encourager mutuellement en entretenant sa flamme. L’espérance est dynamique : toujours en marche, elle nous fait avancer. 

 

 

+Mgr Noël Simard
Évêque de Valleyfield