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Osons des communautés missionnaires!

Date: 
Mardi, 8 novembre, 2016 - 11:30

Frédéric Barriault, Communications et Société

 

« Osons des communautés missionnaires : tel est l’appel que nous lancent le pape Francois, de même que les évêques catholiques du Québec afin de faire de l’évangélisation la priorité absolue de l’Église. Dans La Joie de l’Évangile, le pape avait en effet invité tous les membres de l’Église – les prêtres et les diacres, les religieuses et les religieux, les laïcs mandatés et tous les baptisés — à sortir de leur confort et de leur « torpeur » afin de (re)devenir pleinement missionnaires. ». Le pape exhortait alors les Églises locales à s’engager dans un authentique tournant missionnaire afin que « la douce et réconfortante joie d’évangéliser » occupe la toute première place dans la vie ecclésiale1.

 

Les évêques catholiques d’ici se sont rapidement engagés dans ce fameux tournant missionnaire. Dès 2012, cette question-là était au cœur des discussions au sein de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ). En janvier dernier, l’AECQ publiait justement un document majeur sur Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes2. Ce document invite les diocèses, paroisses et communautés chrétiennes à revoir de fond et comble leurs structures, leur mode de fonctionnement et même leurs schèmes de pensée afin de renouer avec la mission première et fondamentale de l’Église : l’annonce de l’Évangile et la célébration de la Parole de Dieu.

 

Les communautés croyantes sont donc invitées à une authentique conversion missionnaire afin que la Parole de Dieu puisse rayonner jusque dans les recoins les plus reculés de la Terre, mais aussi chez nous, auprès des gens qui « ne connaissent pas Jésus Christ », ou qui ont délibérément tourné le dos au message des Évangiles. Apôtre de la miséricorde et d’une Église aux portes grandes ouvertes, le pape François nous invite aussi à prêcher inlassablement — en paroles et en actes — la tendresse infinie du Père, particulièrement auprès des exclus, des persécutés, des abandonnés, des malades, des réprouvés, des oubliés, des écorchés vifs et de tous ceux qui ont fini par croire que l'amour de Dieu ne leur est pas destiné. 

 

L’annonce de l’Évangile doit donc être la mission prioritaire de l’Église. Or, cette mission-là incombe à tous les membres du Peuple de Dieu, qu’ils fussent ministres ordonnés, laïcs mandatés ou baptisés. Tous sont appelés à devenir des disciples-missionnaires et à contribuer à cette œuvre d’évangélisation, en fonction des dons, des charismes et des talents qui sont les leurs. Tout en ne perdant jamais de vue la coresponsabilité et la nécessaire complémentarité entre les divers ministères au sein de l’Église3.

 

Cela suppose toutefois que l’Église transforme les structures dont elle s’est dotée au cours des derniers siècles, certaines d’entre elles étant devenues désuètes ou, en tout cas, mal adaptées à la réalité du Québec d’aujourd’hui. Les catholiques d’ici doivent également cesser de « vivre » dans le passé et accepter un fait aussi brutal qu’implacable : le régime chrétienté qu’ont connu nos parents et grands-parents est bel et bien révolu. L’Église triomphante d’autrefois et l’unanimité religieuse de jadis ont cessé d’exister — pour le meilleur et pour le pire.

 

Une (nécessaire) révision des structures

 

Dire que l’Église d’ici fait face à une crise relève presque de l’euphémisme. Les symptômes de cette crise sont trop bien connus pour qu’il soit nécessaire d’insister plus avant : chute des vocations, faiblesse de la pratique dominicale et sacramentelle, « décrochage » des jeunes et des familles, sommes colossales investies dans la sauvegarde du patrimoine religieux, etc. Au cours des dernières décennies, plusieurs théologiens ont tiré la sonnette d’alarme et invité leurs coreligionnaires à cesser de rêver à une éventuelle « renaissance » du catholicisme triomphant d’autrefois. Cette Église-là est bel et bien morte.

 

Les églises patrimoniales et les couvents majestueux de jadis sont certes dignes d’être protégés, restaurés, mis en valeur. Cela dit, ils ne répondent plus aux besoins de l’Église actuelle. Trop vastes, trop froides, mal entretenues et souvent presque vides, ces vieilles nefs nuisent à la solennité, à la fraternité et à la chaleur humaine des célébrations liturgiques qui y sont célébrées. En outre, en raison de la chute des vocations religieuses et presbytérales, les assemblées eucharistiques deviendront de plus en plus rares, faute de prêtres en nombre suffisant pour les célébrer à tous les dimanches. Les Célébrations de la Parole (ADACE4) risquent donc d’être de plus en plus fréquentes — célébrations au sein desquelles les diacres permanents et les laïcs mandatés par l’évêque joueront un rôle-clé.

 

L’avenir de l’Église passe donc par un retour à l’essentiel5. Il s’agit d’abord d’un retour à la vocation missionnaire de l’Église : « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe [d’abord] pour évangéliser », disait le bienheureux pape Paul VI dans son encyclique Evangelii Nuntiandi (1975). Il s’agit aussi d’un retour à des communautés chrétiennes plus modestes2. Communautés se réunissant dans des lieux de culte eux aussi plus modestes — potentiellement plus fraternels et chaleureux — où le « souffle de la Pentecôte » et le zèle missionnaire pourront mieux se déployer.

 

Ces communautés-là ne sont évidemment pas appelées à remplacer les paroisses : le maillage paroissial continuera de jouer un rôle central dans l’Église de demain. La paroisse continuera toutefois de connaître de nombreuses transformations, comme c’est présentement le cas dans de nombreux diocèses, à l’heure des fusions de paroisses, des regroupements de communautés chrétiennes, de la fermeture d’églises, de la création de nouveaux lieux de culte (centres communautaires, maisons paroissiales, etc.).

 

Un changement de mentalité

 

Ce tournant missionnaire pose toutefois problème car il suppose un changement de mentalité dans nos communautés chrétiennes. Si la vocation première de l’Église est effectivement l’annonce de la Parole, il faut faire en sorte que l’évangélisation soit la toute première priorité des paroisses et des conseils de fabrique. Or, trop souvent, des querelles émergent entre paroissiens, certains d’entre eux étant prêts à investir des sommes et des énergies colossales dans la sauvegarde de l’église paroissiale — quitte à sacrifier tout le reste, dont au premier chef l’embauche d’agent(e)s de pastorale. On peut certes comprendre l’attachement de certains à l’église dans laquelle ils se sont mariés, où leurs enfants ont été baptisés ou confirmés, où les funérailles de leurs parents ont été célébrées, et où ils ont eux-mêmes abondamment prié. Mais au point de sacrifier l’évangélisation et la pastorale la plus élémentaire, dans une Église en plein tournant missionnaire ?

 

L’Église, communauté divine et humaine, est ô combien plus importante que l’église, bâtiment de bois, de brique et de mortier. Si majestueuses soient-elles, ces églises-là n’ont pas toujours existé. Au tout début de la colonie et jusqu’à une époque assez tardive dans maintes régions du Québec, les chrétiens se réunissaient dans de modestes églises en bois, ou aux abords d’une croix de chemin ou d’une simple chapelle de procession, en attendant la visite du missionnaire ou du prêtre desservant. Parfois, faute de mieux, on se réunissait dans la cabane d’un Habitant, ou dans la chapelle privée du seigneur. Parfois, on érigeait des oratoires de fortune dans un camp de bûcheron ou même en plein cœur de la nature sauvage. L’essentiel étant de « faire Église », de se réunir et de prier de commun.

 

Prier en commun mais aussi partager la joie de l’Évangile, même dans un contexte périlleux et précaire comme celui de la jeune colonie canadienne. C’est en effet ce qu’on fait les grandes figures missionnaires de notre histoire, de même que les fondatrices et les fondateurs de congrégations religieuses7, ou, plus près de nous, les militants d’Action catholique.

 

Bien des catholiques — et je suis l’un d’eux — souffrent de timidité lorsqu’il s’agit de devenir d’authentiques disciples-missionnaires, d’assumer pleinement leur identité de chrétiens et de se laisser porter par la joie de l’Évangile et le souffle de la Pentecôte. Non, il n’est pas aisé de se faire missionnaire. Mais a-t-il jamais été le moindrement facile d’annoncer la Parole de Dieu ? Jésus n’a-t-il pas été crucifié précisément pour cela ? Les chrétiens de l’Empire romain n’ont-ils pas été persécutés précisément pour cela, tout comme d’ailleurs l’ont été bon nombre de croyants par les régimes fascistes, communistes ou dictatoriaux d’Europe, d’Amérique latine ou d’Asie, tout au long du 20e siècle ? Les chrétiens d’Irak et de Syrie ne sont-ils présentement persécutés précisément pour cette raison ?

 

Et nous, au Québec, que risquons-nous donc, sinon de devoir nous frotter, çà et là, aux railleries, aux sarcasmes, à la mauvaise foi, ou encore à l’hostilité ouverte de certaines personnes, athées ou agnostiques pour la plupart. Que je sache, nos vies ne sont pas en danger. Qui plus est, le pape François invite les catholiques à aller malgré tout au-devant et à la rencontre de ces gens, pour qu’ils puissent « voir » à quel point la foi qui nous habite est incandescente, à quel point la joie de l’Évangile est contagieuse, à quel point est sincère notre désir d’ériger un monde plus juste, plus équitable, plus fraternel, plus miséricordieux. Même dans cet univers superficiel et parfois haineux qu’est celui des médias sociaux, il m’est maintes fois arrivé de transformer le regard que bien des gens jettent sur les catholiques, la foi et l’Église. Je ne sais pas si cela fait de moi un authentique disciple-missionnaire. En tout cas c’est un pas dans la bonne direction.

 

Et vous, comment entendez-vous vous y prendre pour devenir des disciples-missionnaires ?

 

Notes

1-      Pape François, La joie de l’Évangile : exhortation apostolique Evangelii gaudium, Montréal, Médiaspaul, 2013, 280 p.

2-      Conseil Communautés et Ministères, Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes. Devenir une « Église en sortie » à la suite de La Joie de l’Évangile, Montréal, Assemblée des évêques catholiques du Québec, 2016, 34 p.

3-      Comité épiscopal des ministères, Assemblée des évêques catholiques du Québec, Au service de la mission : des ministères variés et solidaires, Montréal, Fides, 1999, 35 p.

4-      ADACE : Assemblées dominicales en attente de célébrations eucharistiques.

5-      Pierre Goudreault, Faire Église autrement, Montréal, Novalis, 2006, 240 p.; Normand Provencher, o.m.i., Il n’est pas trop tard. Présent et avenir de l’Église d’ici, Montréal, Novalis, 2015, 108 p.

6-      Inspirées des expériences pastorales latino-américaines et des recommandations de la Commission Dumont (Commission d’études sur les laïcs et l’Église), ces petites communautés sont présentes au Québec depuis plusieurs décennies, sous diverses appellations : communautés ecclésiales de base, communautés de proximité, etc. À ce sujet : Sabrina Di Matteo, « Les communautés de base et l’Église : des interpellations essentielles », Haute-Fidélité, no 126, vol. 2 (2007) http://diocesemontreal.org/une-foi-vivante/leglise-aujourdhui/les-mouvements/articles/les-communautes-de-base-et-leglise-des-interpellations-essentielles.html

7-      Conseil Évangélisation et Vie chrétienne, Figures inspiratrices des catéchètes, Montréal, Assemblée des évêques catholiques du Québec, 2016, 36 p.