JOURNÉES SOCIALES DU QUÉBEC 2015
LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE - manger: un choix de société
En l’an 2000, les chefs d’État du monde entier avaient pris l’engagement d’éradiquer la faim et l’extrême pauvreté d’ici 2015. Aujourd’hui une personne sur huit souffre de la faim et la moitié des gens touchés par ce scandale sont des petits agriculteurs familiaux. Présentement trois milliards d’humains dépendent de l’agriculture familiale. Au Québec 15 à 17% des familles sont affectées par la malnutrition.
La logique d’exclusion étend son règne
Dans leur Message du 1er mai 2015, intitulé « L’être humain au cœur de la souveraineté alimentaire », les évêques du Québec mentionnent des causes importantes de cette réalité : « La cupidité de certains, les mécanismes de désinformation, l’absence de consultation des populations concernées et notre absence de vigilance mettent en péril notre terre et notre souveraineté alimentaire ». Soulignons également le phénomène croissant, observable chez nous aussi, de l’accaparement des terres que le documentaire-choc Sans terre, c’est la faim considère comme « l’un des plus grands scandales de notre époque, à l’origine d’une crise de la malnutrition galopante[1] ». Enjeu fondamental pour l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation, ce phénomène nous renvoie au changement majeur qui s’est produit par le passage au modèle d’agriculture industrielle à grande échelle orientée vers l’exportation et la libéralisation des marchés.
Des stratèges de l’économie et des spéculateurs avertis ont cherché à maximiser leurs profits au prix d’un accaparement des terres et du mépris de l’environnement. L’agriculture et l’alimentation furent prises au piège des dogmes de la finance. S’installe en même temps la logique perverse de la dictature du profit. En conséquence c’est la disparition de petits agriculteurs et agricultrices, la dépendance envers les grandes compagnies, la monoculture et l’explosion des prix, l’exploitation de la main d’œuvre, l’appauvrissement des sols, la réduction de la biodiversité… Combien d’êtres humains sont alors exclus de la table du bien commun. Devant une telle destruction du lien social, l’indignation et le refus sont porteurs de changements.
Il est possible d’apprêter la table « autrement »
Inspirée par une logique inclusive, cette conviction considère les humains laissés pour compte comme les agents premiers du développement. Or il y a quelque chose de cette conviction dans le concept de « souveraineté alimentaire », d’abord défini par un mouvement paysan la Via Campesina, et ratifié en 2002 au Sommet mondial de l’alimentation. En 2007, une quarantaine d’organismes québécois et canadiens signent une Déclaration commune demandant aux gouvernements provinciaux et fédéral de « faire de la souveraineté alimentaire un élément clé de leur politique agricole ». Un an plus tard, la Coalition pour la souveraineté alimentaire est fondée à Montréal par une soixantaine d’organismes.
Beaucoup plus qu’un concept, la souveraineté alimentaire, comme le rappelle la Déclaration de Nyéléni, au Forum international de 2007, « est le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ». Nous le voyons, il s’agit d’une vision globale du développement. Une autre manière d’habiter la terre et de la partager autour d’une table démocratiquement apprêtée. Et ce « rêve » a des chances de se réaliser.
Des artisanes et des artisans sont à l’œuvre
Refusant le discours dominant et la soumission au laisser-faire, des femmes et des hommes soutiennent que la valeur de l’alimentation ne doit jamais être déterminée par des indices boursiers ou des critères financiers. Plutôt que des accords de libre-échange, ils ratifient des ententes d’échange équitable. À contre-courant du fatalisme, ils imaginent des pratiques et des modèles alternatifs qui s’inscrivent dans une approche différente en regard de l’environnement, de la participation citoyenne et des rapports entre consommateurs et producteurs. La souveraineté alimentaire prend ainsi de multiples visages et ses retombées touchent des enjeux aussi fondamentaux que la qualité de l’alimentation, les identités et les valeurs territoriales, les conditions de vie des populations, le vivre ensemble et le respect de la terre. En référant aux expériences de celles et ceux qui sont déjà entrés dans le mouvement, nous comprenons mieux l’importance de leurs choix, les défis éthiques qui les sous-tendent et le souffle qui les inspire.
Dans la foulée des échanges vécus durant ces Journées sociales 2015, nous avons discerné une vague de fond faite de conscientisation, de mobilisation et de changement de pratiques. Par exemple, nous avons reconnu que l’alimentation n’est pas une marchandise, mais un droit inaliénable. Et que l’agriculture est une activité humaine et sociale avant d’être économique.
Pour soutenir ce mouvement, il nous faut une politique visionnaire qui mette fin à l’accaparement des terres au détriment des producteurs et de la relève. De plus, nous dénonçons les mesures actuelles d’austérité qui démantèlent les structures mobilisatrices pour le développement local et régional du Québec. À cet égard nous exigeons que le gouvernement Couillard revienne sur sa décision de couper la subvention à Solidarité rurale du Québec, coupure qui a eu pour résultat de saper la capacité d’action de l’organisme. En outre, nos gouvernements doivent maintenir la politique de gestion de l’offre, si importante pour nos productrices et producteurs agricoles, actuellement menacée par les accords de libre-échange.
Devant ce défi de la souveraineté alimentaire, nous devons être plus que des porteuses et des porteurs de messages, nous devons être «le message». Puissent notre travail et nos élans d’éveilleurs avoir force d’entraînement! Et qui sait, peut-être reconnaîtrons-nous le souffle de l’Évangile et l’invitation du Prophète de Nazareth à changer radicalement les règles du jeu social, afin que toutes et tous prennent place à la table de la solidarité universelle.
Yvonne Bergeron, CND
Coprésidente des JSQ 2015