2017-A Jn 14, 1-12- homélie funéraire- une vie en forme de beauté
homélie lors d'une célébration de la parole au salon funéraire à partir de Jean 14, -1-12
Il est urgent aujourd'hui de refonder sa vie sur la beauté. De nous remettre en état de contemplation de la beauté. Nous sommes envahis par des scènes de désolation de toute sorte qui finissent par ronger notre regard. L'urgence est de refonder notre vie sur la beauté.
Cela peut étonner, mais ce que l'évangile apporte à notre monde, c'est un regard de beauté. Il nous faut retrouver ce regard. On a écrit: la beauté sauvera le monde (Madeleine Delbrel). Cette page tirée de l'évangéliste Jean, ouvre sur la beauté d'un chemin. Ce qui fait le charme de ce chemin, c'est qu'il comporte plusieurs avenues, plusieurs artères, celle de l'entraide, de la compassion, de la charité, de la justice, de la joie. Nous ne finirons jamais de découvrir et d'être fascinés par la beauté de ces avenues qui ouvrent la beauté des beautés qu'est Dieu.
Dieu, pour autant que nous puissions donner un visage à ce nom, ne s'est pas contenté d'une théorie sur la beauté, il l'a montré en se faisant l'un de nous. Une laïque du XIXe siècle, Catherine de Sienne, disait dans l'une de ses lettres que Dieu nous trouvait tellement beaux qu'il a voulu devenir ce que nous sommes. Dans sa personne, Jésus nous montre un chemin pour vivre en état de beauté, en état d'harmonie avec notre identité profonde. Il est venu attester que nous, humains, sommes la beauté de la beauté de Dieu. Question : voyons-nous en nous cette beauté ? La beauté de ce chemin qui y conduit ?
Trop longtemps, l'évangile n'a été perçu qu'à travers des lois, presque des mises en demeure. Ce dont nous avons besoin dans notre société laïque, et c'est heureux qu'il en soit ainsi, c'est de rencontrer des personnes capables de faire voir la beauté de Jésus. Capables de rayonner de cette beauté.
Durant sa vie, Jacqueline n'a pas dénaturé et perverti ce regard de beauté et d'émerveillement. La beauté, à l'exception de sa peur mortelle des chiens, est ce mot clé qui ramasse toute sa vie. Nous voyons ce que nous sommes, dit-on. Et Jacqueline savait voir ce qui était beau. Elle savait voir ce qu'il y a de beau dans l'évangile. Le projet Jésus d'aider, de compatir, d'être présent aux autres répondait à ce qu'elle était dans son être profond. Non seulement elle voyait ce qu'elle était, mais elle était dans son être profond, ce qu'elle voyait.
Une vie vécue en état de beauté nous rassemble aujourd'hui. Je songe, ici, à la beauté de son oui à Philippe et vice versa, un oui dont je fus témoin comme servant de messe à leur mariage, il y a 66 ans. Ce oui fut prononcé entre un citadin et un villageois. Quoi de plus risqué! Il a fallu bâtir des ponts de convergence, dirions-nous aujourd'hui, qui ont résisté aux inévitables bourrasques.
Je songe à la beauté qu'elle anticipait en voyant une simple pièce de tissu. Je l'entends dire: ça fera un beau chandail, une belle jupe. Entre ses doigts de fée, un simple tissu devenait presque qu'une œuvre d'art. Elle savait faire surgir, je dirais presque sculpter, quelque chose de beau dans un simple tissu. On peut appliquer à Jacqueline ce que disait le sculpteur Alberto Giacometti : la grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu, chaque jour, dans le même visage. C’est plus grand que tous les voyages autour du monde.
Elle voyait ce qui était beau, mais aussi rendait beau ce qui l'était moins. Elle a remarqué un jour que mon aube n'était pas, si je peux m'exprimer ainsi, au niveau. Elle m'a fait monter sur la table de cuisine et outillée d'une règle et d’épingles, elle m'a fait tourner en rond pour niveler le tout. Ce petit geste de me rendre «beau» disait tout ce qu'elle était.
Là où Jacqueline passait, elle laissait des traces de beauté. Quand je visitais ma mère, je détectais facilement si Jacqueline était passée par là. Tantôt, un bibelot, tantôt un bouquet de fleurs séchées, tantôt un cadre reproduisant les quatre saisons, se retrouvait dans sa chambre. Et maman me disait que la présentation était aussi belle que le cadeau. Quoi de plus beau qu’une vie de beauté totale, partagée dans la beauté de l’amitié, du service, de la présence aux autres qui l'habitait. Je dirais même qui l'habillait.
Et nous voici ensemble pour rendre grâce pour la beauté de cette vie. Beauté qui fut vécue en fin de vie en état de beauté chez elle, grâce au soutien de Philippe, de Marie, Michel et André et du personnel du CLSC, qui ont apporté une présence rassurante et quotidienne. Et je me permets d'ajouter au nom de Jacqueline, son merci à Philippe, à ses enfants et aux personnels du CLSC pour l'avoir accompagné jusque dans son silence pénible des derniers mois.
Je conclus par ces mots d'un poète : quiconque demeure capable de voir la beauté ne devient jamais vieux (Gustav Janouch, Conversations avec Kafka) et par ceux d'un Père de l'Église : nous sommes aux yeux de Dieu, des grains de poussière de toute beauté. Pour cette manière si fascinante de vivre, mon âme exalte le Seigneur. Magnificat. Amen.