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ANNÉE A: FÊTE DE LA CROIX GLORIEUSE

JN 3, 13-17

Avant son entrée au jardin des Oliviers, Jésus a connu une autre croix aussi pénétrante qu’un glaive. C’est celle de l’eucharistie. Ce geste qui nous rassemble, - nous n’y portons pas assez attention - fut pour Jésus un échec monumental. Le plus dramatique des échecs. Au sortir de ce repas, Judas l’a trahi, Pierre a déclaré ne pas le connaître, les autres l’ont quitté. Il venait de les nourrir de Lui-même. La digestion s’est mal faite.

Notre histoire de foi est née à l’heure où se brise la communauté des disciples réunis autour de la Table. Notre Église, notre communauté est née au moment où elle se désagrège. Mystère de foi. Mystère de Croix. Les disciples se rendaient à Jérusalem plein d‘espérance «nous espérions qu’il serait le libérateur d’Israël. » (Lc 24,21) Au sortir de la « chambre haute », lieu de naissance de notre histoire fondatrice, au sortir des « événements des derniers jours » (Lc 24, 22), les disciples perdent le fil de l’histoire. Tout s’effondre. Jésus ne les empêche pas. Il sort avec eux. Les accompagne. Le sacrement qui nous rassemble inaugure pour Jésus l’heure de l’effondrement, de la dispersion : « cette parole est trop dure » « je ne connais pas cet homme ». Il ouvre sur le sacrement de la mort, celui de la croix « glorieuse ».

À chaque fois que nous nous réunissons dans la « chambre haute », nous chrétiens, faisons mémoire d’un échec, d’une crise. Une crise qui a poussé les disciples à prendre leurs jambes à leur cou et à fuir. Pour Jésus, ce fut une double crise : celle de la dispersion des disciples « après les avoir tant aimé », celle de l’arrivée de son « heure » qui ouvre sur l’Histoire d’un « Dieu qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique.» (Jn 3,15)

Dieu a tellement et si démesurément été fasciné par nos histoires d’échec et de souffrance qu’il en a pris le chemin pour nous en offrir un autre. « Par ta Croix, tu nous rends la vie » (Acclamation) « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que tout homme obtienne par lui la vie » vient de nous dire l’Évangile. (Jn 3,17)

Tous les jours nous célébrons une crise glorieuse. Heureuse crise ! Heureuse Croix ! Ma question surgit spontanée : pourquoi alors craindre la crise que nous vivons présentement comme Église ? Comme « moniale » consacrée au cœur du monde ? Pourquoi craindre ce passage de la Croix, moins subtil qu’hier mais toujours aussi présent, que nous vivons dans nos corps et nos personnes ?

Tous les jours nous nous rassemblons pour nous raconter l’histoire d’une crise. C’est la spécialité de la maison. Le coeur de notre foi. « Tu as attaché au bois de la Croix (à la crise de la Croix) le salut du genre humain pour que la vie surgisse à nouveau. » (Préface) Nous sommes nés d’une crise. Nos vies humaines comme nos vies de foi sont traversées par des crises d’une profondeur insoupçonnée. Ce ne sont pas des moments de paralysie. Ce sont des instants de grâce. Je paraphrase Maurice Bellet qui lui parlait du christianisme : « l’eucharistie est une crise qui devient une crise de croissance.» (Bellet M. Naissance de Dieu DDD 1975 p395)

Notre baptême nous introduit dans une crise, une rupture. « Nous renonçons ». Un choix de non-retour qui doit être continuellement confirmé par le dynamisme de notre foi. Nous sommes des « mémoires évangéliques » de cette crise qui nous traverse en permanence dans notre être au monde. « Nous sommes venus l’adorer. » (JMJ 2005) Nous sommes des « adoratrices » d’une crise. D’une Croix.

À chaque époque de crise de notre histoire, des hommes et des femmes se sont levés, suscités par leur contemplation de la Croix glorieuse, pour dire leur désir de vivre autrement l’Évangile. Ils sont devenus des « mémoires de la Croix » (Jean-Claude Guy), des mémoires d’un « souvenir dangereux » des mémoires salutaires.

La croix est dangereuse de salut. Dangereuse de gloire ! Ce langage n’est pas celui de la sagesse humaine. Il est issu d’une folie « adoratrice ». Il prend forme dans des cœurs qui sont tombés en « adoration » avec une crise. "Adorer, c’est placer au cœur de nos vies quelqu’un qui nous tient à cœur jusqu’à vouloir l’imiter" (cardinal Turcotte, catéchèse à Cologne, JMJ 2005) Adorer le pain de vie, c’est reconnaître que l’échec sont des incontournables.

À votre contemplation : « nous sommes venus l’adorer ». En route pour Cologne, Benoît XV1 répondant à une question d’un journaliste de Radio Vatican disait « Je voudrais leur dire que c’est beau d’être chrétien ». Je voudrais vous dire qu’il est beau le chemin qui chante : Ta croix dressée sur le monde, Seigneur nous l’acclamons. C’est un chemin de victoire, un chemin d’eucharistie. AMEN