2022-C- Jn 14, 1-12- mort de mon frère- une entrée dans une vie illuminée d'immensité
Réflexion donnée à l’occasion de la mort de mon frère : une vie illuminée d’immensité.
Jn 14, 1-12
J’ouvre cette réflexion par ces mots d’un auteur québécois Doris Lussier qui, suite à la mort tragique de son fils, écrivait : un être humain qui s'éteint, ce n'est pas un mortel qui finit. C'est un immortel qui commence. Je ne lui dis pas adieu, je lui dis à bientôt. Ceux que nous avons aimés et que nous avons perdus ne sont plus où ils étaient. Ils sont toujours et partout où nous sommes. Cela s'appelle d'un beau mot plein de poésie et de tendresse : le souvenir.
Nous souvenir que la vie ne meurt pas. Quelqu’un, un poète, a écrit quelque chose de très beau pour exprimer cela : c’est un état illuminé d’immensité. À bien y songer, les mots de foi disent autrement ce quelque chose : quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi (cf. Jn 14, 3). Qui croit en moi ne mourra pas, mais vivra (cf. Jn 11,25).
L’annonce de la mort de Gérard fut pour moi comme un coup de vent, de foudre (cf. Aa 2, 2). Un coup qui a éveillé en moi tout ce qui fut vécu de beau, de bon ensemble. Ce coup de vent me questionne autant que vous sur la fragilité du souffle humain qui nous tient en vie. Nous sommes fragiles à mort. Mais ce qui ne meurt pas, ce sont les beaux gestes d’amour, de compassion, d’entraide. Il y a plus fort que la mort. Il y a l’amour qui ne meurt pas.
Ici, près des cendres de Gérard, nous inaugurons une nouvelle manière de vivre, celle de son absence physique. Ce qu’il a été pour nous ne meurt pas. Plus notre proximité avec lui fut grande, plus son esprit n'est pas tuable.
J'ai appris avec les années à comprendre que ce sont les comportements plutôt que les paroles qui définissent le mieux quelqu'un. Gérard n'était pas très bavard sur son monde intérieur. On pourrait même dire qu'il était un cachotier. Mais ce regard-là est extérieur. Il vivait d'une grande intensité intérieure qu'il avait peine à verbaliser. Son agir disait plus que ce qu'il exprimait.
Il était proche, faisait sentir sa présence auprès des endeuillés. Quand il apprenait le décès d'un parent, d'un ami, il s'obligeait d'aller rencontrer la famille, d'aller au salon, à l'eucharistie. Sa fidélité à cette présence est un trésor qu'il nous lègue. Il savait se faire proche. C'était sa manière à lui d'exprimer son affection. Son attention. Sa grande sensibilité.
Sa maladie ne lui a pas enlevé son appétit de vivre, son goût d’un bon verre de scotch qu’il savourait encore récemment. Elle fut une culbute dans le monde de la rencontre, non plus des rencontres d’affaires, mais des rencontres gratuites, toutes simples, toutes humaines. Chaque fois que je le visitais, il m’offrait son sourire. Son humour. La maladie a simplifié sa vision de la vie, de sa relation aux autres. Il savait apprécier chaque visite et réaliser qu’il a besoin des autres, de sa conjointe dont il appréciait sa présence et ses soins. Ces derniers mois, une visite lui faisait tant de bien.
Face à sa famille, à moi, il voulait toujours offrir une table où l'abondance et la qualité des mets, toujours accompagnés d'un vin raffiné, feraient notre joie. Il n'hésitait jamais d'aller me procurer à fort prix souvent, un poisson de haute qualité sachant que je pourrais le digérer. Il savait s'offrir et nous offrir du bon temps ensemble. De nous voir près de lui était un délice qu'il goûtait. Mon absence à sa table lui était pénible. Il portait en silence la distance qu'il pouvait vivre avec ses proches. Maintenant, une table aux fruits divins, savoureux, le reçoit. Ajoute un couvert, Seigneur, à ta table, il était notre ami.
Une certitude pour moi. Le Dieu de mon frère n'était pas un Dieu abstrait, dogmatique, mais concret. C’est en se faisant aidant, présent, soucieux d’entretenir les liens familiaux, prenant les devants pour offrir tantôt ses connaissances administratives, tantôt pour se transformer en samaritain, tantôt pour apporter son petit coup de pouce qu’il montrait sa foi, qu’il pratiquait sa foi, dit saint Jacques (cf. Jc 1, 22).
Sa vie fut remplie de « gestes de joie » qui laissaient soupçonner qu'il ne vivait pas à la surface de lui-même. Gérard vivait à sa manière le protocole de l'évangile : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25, 40).
Je dépose en terminant dans la corbeille de vos coeurs, quelques paroles que je ne vous impose pas. Elles sont des paroles de grands priants. Des paroles de Dieu aussi.
Toi qui es terre, né de la terre, tu montes maintenant au ciel avec le Christ (Grégoire le Grand).
J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé confiance en Dieu. Maintenant voici qu'est préparée pour moi la couronne de gloire que le Seigneur offre à tous ceux qui ont attendu sa venue (2 Tm 4, 7).
Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi ne mourra pas (Jn 11. 25).
Nous sommes citoyens des cieux… Nous attendons comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ… c’est Lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux (Ph 3, 17 - 4,1)
Ce sont des paroles-mémoires de son entrée dans un état illuminé d’immensité. AMEN