Il n’y a pas de vie spirituelle féconde sans but, sans cette visée qui donne à notre existence tout son sens. Ce but n’est pas un objectif à atteindre, quelque chose de mesurable. Il n’est pas de l’ordre de l’avoir, du savoir, du pouvoir. Il n’est pas le fruit d’un travail intellectuel mais un mystère : partager la Beauté de Dieu. Se convertir à la Beauté.
Nous entrons dans une saison dite des fêtes qui, à première vue , laisse entendre et voir la saison la plus anti-évangélique qui soit. En ces jours de grande effervescence pour les commerçants, la publicité nous vend l’image qu’exister, c’est consommer. Accumuler, c’est bien vivre. À l’observateur éveillé, ce qu’exploite cette saison des fêtes, c’est plutôt une grand insécurité. Ce qu’elle cache, c’est un grand vide intérieur.
L’heure est venue. C’est maintenant le temps d’entrer en Carême, d’entrer en Prière. On ne fait pas son Carême. C’est le Carême qui nous fait. Devenir Carême pour devenir Pâques demain. Devenir dépossession pour nous éviter de vivre dans les ténèbres extérieures (mt25,30) pour devenir riche en vue de Dieu.
Entrer. C’est le premier mot de Jésus sur la prière. La première étape de sa méthode qu’Il enseigne à ses disciples. La direction est donnée. Il faut aller vers le-dedans. Saint Ambroise disait :soyons dedans non en dehors. Entre dans ton âme pacifiée, tranquille. Ne sors pas d’elle.
A l’heure où le monde entier avec une unanimité rarement atteinte se prépare à attaquer tout lieu susceptible d’entretenir quelque lien que ce soit avec le terrorisme, sans exclure d’innocentes victimes ; à l’heure où les mots vengeance, contre-attaque, punition sont sur toutes les lèvres et dans tous les coeurs; à l’heure aussi ou d’autres voix se font entendre pour inviter à la modération, l’invitation de Jésus - c’est la miséricorde que je désire - semble venir d’un autre monde, d’une autre planète.
Présentement tous nos sens sont sollicités : bruit, lumière, agitation sont les caractéristiques de la vie moderne. Paradoxe, cet environnement au décibel étourdissant - Freud dirait aux pulsions de mort - nous propulse dans l’ère du vide, dans une sorte de désert où rien n’a plus de sens, où rien ne semble nous combler. Vivre sans idéal, sans but autre que celui du nombrilisme, sans retrouver nos racines, est désormais possible. Quel drame!
Commence pour nous ce temps, cet appel à la conversion qui nous place au coeur de l’année jubilaire. Se convertir, c’est le premier mot de la prédication de Jésus. L’accomplissement du temps de Dieu se traduit par notre conversion, par la purification de la mémoire (Bulle nu 11) Nous sommes tous des meurtriers de Dieu, tous des meurtriers de nos frères et soeurs, de façon subtile mais combien vraie. Le sang versé n’est pas la seule caractéristique du meurtre.
Depuis les débuts du monde et confirmé par le 1er Noël, la foi d’Israël comme celle de l’ère chrétienne a été espérance puis, avec Jésus, proclamation d’une grande joie(Lc2, 10) sur toute terre. Sans cette joie, notre vie de foi serait incompréhensible. C’est parce que notre foi est un joyeux message qu’il retentit depuis maintenant deux millénaires. Cessez d’être témoin de cette joie qui vient, c’est cesser d’annoncer une Bonne Nouvelle.
Si nous comprenions cette page de Matthieu ! Elle ne fait que dévoiler au grand jour toute la question - et quelle question - de la discrétion de Dieu. Certains diront de l’absence de Dieu. En choisissant ses apôtres, Dieu en Jésus accepte de nous laisser toute la place. Il accepte de se taire pour nous laisser libre, pour respecter notre liberté. Il s’agit d’autre chose que de se taire parce qu’il n’existe pas. Appel qui ouvre sur la discrétion de Dieu.
Il ne suffit pas de contempler Dieu dans sa Beauté, dans sa Pauvreté. Il faut en vivre. Aucunement question ici d'obligation. Agir par obligation, c'est agir sans se donner des racines profondes. L'obligation ne convertit personne. Du temps, celui du Carême, pour aller plus loin que l'obligation, plus loin que l'obligation de faire l'aumône, plus loin que l'obligation d'aimer qui ne conduit nul part....pour retrouver nos origines.
Encore un peu de temps, très peu de temps... il arrivera dans l’avenir. Pour voir ce Dieu qui vient nous redire que nous sommes sauvés, pour observer ce verger devenu pareil à une grande forêt, il faut monter sur la montagne de Dieu pour être en mesure de voir au loin, de voir loin. Les lectures des prochaines semaines nous projetteront dans l’A-venir, (écrit en deux mots s, v, p,). Du temps pour voir-venir, nous préparer à ce qui nous attend : Dieu nous regarde comme si nous étions son fils unique.
