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Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes

Date: 
Jeudi, 23 juin, 2016 - 14:15

Le 15 juin dernier, l’abbé Gilles Routhier, un théologien bien connu au Québec est venu nous aider à réfléchir sur un thème qui animera tous les diocèses du Québec pour quelques années : Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes.

 

Dans la foulée du Synode de 2012 sur « La nouvelle évangélisation pour la propagation de la foi chrétienne » et de l’Exhortation apostolique La joie de l’Évangile du pape François, l’Assemblée des Évêques catholiques du Québec a proposé à ses membres, accompagnés de leurs proches collaborateurs et collaboratrices, une session d’étude sur le sujet. Celle-ci s’est tenue à Trois-Rivières les 12 et 13 mars 2014. Elle avait pour objectifs de cerner en quoi La Joie de l’Évangile soutient ou apporte du neuf dans nos efforts d’évangélisation, et de faire le point sur les choix à faire ou déjà faits pour permettre à l’Église au Québec et à nos communautés chrétiennes de vivre une transformation missionnaire.

 

Les réflexions que nous vous proposerons les prochaines semaines nous aideront à poursuivre la réflexion et soutenir les prises de décision, tant au plan diocésain qu’à celui des communautés chrétiennes.

 

Soudain un bruit survint du ciel comme un
violent coup de vent : la maison où ils étaient assis
en fut remplie tout entière.
Alors leur apparurent des langues qu’on aurait
dites de feu, qui se partageaient.
Il s’en posa une sur chacun d’eux.
Tous furent remplis d’Esprit Saint:
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.(Ac 2,2-4)

 

Un grand vent secoua la maison, l’envahit tout entière… Tous furent remplis d’Esprit Saint! Alors, ceux qui se tenaient jusque-là dans la « chambre haute » sortirent, et « ont parlé selon ce que le Souffle leur donnait de dire ». Le miracle de la Pentecôte provoque un retournement spectaculaire de situation : de la « chambre haute » où ils se tenaient retranchés, les onze sortirent sur la place publique. Ceux qui étaient silencieux, « ont parlé selon ce que le Souffle leur donnait de dire. » Un grand vent a secoué la maison, l’a envahie et les voilà enflammés, animés de ce Souffle Saint.

 

La scène que déploie et ouvre ce récit de la Pentecôte vient nous interpeller. C’est celle d’une Église en sortie, d’une Église missionnaire, d’une Église du grand large, d’une Église rajeunie en raison de son audace et des risques qu’elle prend. Une Église telle qu’elle étonne ceux et celles qui se trouvent là, qu’elle les laisse perplexes et stupéfaits (Ac 2, 12).

 

Le miracle de la Pentecôte peut-il se reproduire ? Le Souffle Saint peut-il encore venir animer les Églises du Québec et nous pousser de nouveau à sortir, à aller vers l’autre? Ce n’est peut-être pas la peur qui nous emprisonne, comme les disciples au Cénacle, mais, comme le mentionne La Joie de l’Évangile, mais parfois le manque d’espérance devant les résultats mitigés de nos engagements et les énormes défis du moment présent.

 

Oui nous croyons que le vent de Pentecôte peut à nouveau envahir les Églises du Québec et les renouveler, à la condition que nous soyons disposés à accueillir ce grand vent qui vient ébranler la maison-Église et que nous soyons prêts à opérer une conversion missionnaire que l’Esprit lui-même saura inspirer.    

 

 

On peut être porté à se désespérer parfois en voyant la situation actuelle de l’Église. Pourtant il est bon de se souvenir de ceux qui ont ensemencé l’Évangile sur cette terre d’Amérique, notamment Saint François de Laval, Sainte Marie de l’Incarnation et Sainte Marguerite Bourgeoys, mais aussi de tant d’autres qui ont contribué à implanter l’Église de Jésus chez nous. Les défis qui se présentaient à eux étaient immenses, démesurés.

 

Par conséquent, nous dit le pape François… » ne disons pas qu’aujourd’hui c’est plus difficile; c’est différent. Apprenons plutôt des saints qui nous ont précédés et qui ont affrontés les difficultés propres à leur époque. »

 

Dans le « nouveau monde » que nous habitons aujourd’hui, nous avons à reprendre leur geste, avec la même audace, le même goût de l’aventure, la même foi et partir au large et devenir une Église en sortie, une Église qui retrouve son caractère missionnaire.

 

 

Renouveler notre mémoire missionnaire

Assurées dans une situation de « chrétienté », les Églises du Québec se sont crues un moment à l’abri de toute remise en question. Contemplant la majesté des façades de nos églises ou de nos couvents et la solidité de ces constructions, nous pensions que tout cela était éternel. Les églises étaient au centre des villages et des quartiers de nos villes et l’Église avait réussi à se tailler une place centrale dans la vie sociale. Il ne restait plus qu’à habiter paisiblement ce que l’on avait fièrement édifié avec le risque de devenir :

 

« Une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures » ; avec le risque de se « renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée. » (EG 49)

 

Aujourd’hui, ce temps de « chrétienté » s’éloigne de nous à grands pas. Il fait désormais partie de la mémoire des aînés, laissant dans le paysage des traces que les plus jeunes peinent à interpréter. Il suscite tantôt reconnaissance, tantôt nostalgie, tantôt sourire amusé et il provoque parfois révolte et agressivité. Au-delà du patrimoine foncier et immobilier, ce « temps de chrétienté », qui a structuré en profondeur notre Église et forgé les mentalités laisse des « accoutumances », des façons de voir l’Église, des habitudes et des réflexes pastoraux, des manières d’organiser les communautés paroissiales, de penser le ministère, de présenter le christianisme et de vivre en Église.

 

Si la réaffectation du patrimoine bâti et la conversion des immeubles représentent un défi de taille, la conversion missionnaire de l’Église, de ses habitudes, de ses pratiques, de ses attitudes et de son style constitue un défi encore plus grand. La conversion des mentalités est exigeante. Elle demande non seulement du temps, mais beaucoup de détachement et une grande disponibilité spirituelle qui nous conduit à accueillir la situation actuelle de nos Églises comme un don et une grâce.

 

La sortie progressive de ces « temps de chrétienté » et la nécessité devant laquelle nous sommes de repenser la vie des communautés paroissiales nous provoquent à réactiver des pans de notre mémoire ecclésiale.

 

La conversion des mentalités est exigeante. Elle demande non seulement du temps, mais beaucoup de détachement et une grande disponibilité spirituelle qui nous conduit à accueillir la situation actuelle de nos Églises comme un don et une grâce.

 

La sortie progressive de ces « temps de chrétienté » et la nécessité devant laquelle nous sommes de repenser la vie des communautés paroissiales nous provoquent à réactiver des pans de notre mémoire ecclésiale. Notre cathédrale est remplie de figures qui nous témoignent de cette ardeur qui a bâti l’Église de Dieu en Nouvelle France et ainsi notre Église diocésaine.

 

Au moment où nous ne pouvons plus vivre des assurances que procurait la prospérité des « temps de chrétienté », il nous faut retisser les liens avec la période missionnaire qui a marqué notre Église, alors que tout était à inventer et à créer.

 

 

Fondements de l’activité missionnaire

Cette conscience du fait que l’Église est missionnaire ne doit cependant pas être dissipée par le désarroi dans lequel nous nous retrouvons actuellement. La condition missionnaire de l’Église ne serait alors motivée que par les circonstances présentes et le contexte jugé défavorable. Cette situation éveille notre conscience missionnaire, mais celle-ci doit être éclairée par une recherche de fondements. Autrement, l’activité missionnaire serait mal orientée, manquerait de profondeur dans ses motivations et ne serait qu’une agitation en vue de récupérer ce que nous avons le sentiment d’avoir perdu, une vaine opération de restauration.

 

Ainsi les ébranlements que notre Église connaît exigent d’aller un retour aux sources : « De sa nature, l’Église, durant son pèlerinage sur terre est missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père » (Ad gentes no 2). En ce sens le pape Paul VI disait que « l’Église existe pour évangéliser »; c’est sa vocation propre et son identité la plus profonde.

Par conséquent, se penser, se structurer et se vivre comme missionnaire n’est pas un choix parmi d’autres possibles.

Il ne s’agit pas non plus d’un nouveau slogan, mais du ré-enracinement en profondeur de l’Église dans ce qui la fonde, voulue par la TRINITÉ elle-même. La finalité de l’activité missionnaire de l’Église ne peut être autre que la vie, la joie et le bonheur des hommes, des femmes, des enfants d’aujourd’hui. En d’autres termes, la fin poursuivie ne peut être de l’ordre de la reconquête. Ce qui est fondamentalement en jeu, ce n’est pas de permettre à l’Église de retrouver sa place centrale dans la société ou de retrouver des masses de chrétiens. La finalité est celle même de la mission du Fils : « Je suis venu pour qu’ils aient la vie et la vie en abondance » (Jn 10,10) Cela suppose un décentrement de l’Église. « Je ne veux pas être une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures » nous dit le pape François. (EG 49) Ce décentrement nous fait nous tourner vers cette multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-même à manger (Mc 6,37).  En amont, ce décentrement nous fait nous tourner vers Celui qui envoie et qui nous précède, vers celui qui a l’ « initiative »  et qui est à la source de l’activité missionnaire et qui l’accompagne.

 

L’initiative de l’action missionnaire ne vient pas de l’Église. Si, au sens strict, le terme mission signifie l’ »action d’envoyer », le sujet de cette action est Dieu qui envoie le Fils et l’Esprit. A la source de la mission, il y a l’amour de Dieu, son désir de bonheur pour le monde. Le pape François écrit : « Chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent de nouvelles voies, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui. (EG11)

 

Cet amour, cette sagesse et folie de Dieu, nous surprend et défie nos logiques et nos calculs. Cet amour, à la source de la mission, nous met en mouvement. Il nous envoie là où l’on ne prévoyait pas aller ou même là où ne voulait pas aller. L’Église, quant à elle, envoyée par le Fils et l’Esprit, n’est que l’agente d’une action qui est celle de Dieu. Aussi, elle doit être attentive et disponible à l’initiative de l’Esprit qui la précède et qui l’envoie, l’invitant à sortir et à aller aux périphéries.  

 

L’activité de l’Église vise donc cette annonce en acte de l’amour et de la miséricorde de Dieu. C’est ce « centre », ce « cœur » cet »essentiel » qui doit présider à l’élaboration de tous les plans pastoraux, servir de critère à une communauté lorsqu’elle fait des choix et se donne des orientations. Ce cœur doit être la norme à partie de laquelle on évalue toute l’action pastorale d’une paroisse, d’un diocèse ou d’un mouvement : ce que l’on est comme Église (organisation, style, attitude…) ce que l’on fait (pratiques, comportements…) ou ce que l’on dit (paroles et discours).

 

Ainsi l’enjeu du « tournant missionnaire » se situe dans la considération de la mission d’abord comme activité de Dieu qui dans son immense amour pour l’humanité, envoie le Fils et l’Esprit

 

ET aussi service de l’humanité en quête de bonheur.   

 

« Chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent de nouvelles voies, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui ». Pape François (EG 11)

 

Forts des réflexions que nous vous avons présentées ces dernières semaines, ce défi du tournant missionnaire nous rejoint dans toutes nos communautés chrétiennes. Elle est même une urgence. Nous sommes devant un carrefour où il faut se retrousser les manches et discerner les chemins à prendre pour rejoindre les jeunes, les distants, les chercheurs de sens, les assoiffés de paix…pour être fidèles à notre mission. « Les deux pieds bien à terre et le cœur au ciel » - à la manière de tant de saints et de saintes de chez nous qui ont vécu ainsi – il nous est demandé une fidélité créatrice pour transmettre l’enseignement libérateur de l’Évangile qui demeure le même qu’hier, mais avec des approches, des méthodes, des voies de dialogue pour aujourd’hui.

 

Cela ne se fait pas sans vivre des deuils. Notre Église en vit depuis plusieurs décennies : la vente de plusieurs églises, des réaménagements rendus obligatoires à cause de la faiblesse des finances, de l’éloignement de nombreux baptisés aux activités tant liturgiques que paroissiales, du climat social bien différent de celui de nos grands-parents et même parfois de nos parents. 

 

Cette « opération » non seulement se situe au niveau de la réflexion (indispensable) mais nous engage à transformer nos mentalités et accepter avec CHARITÉ des façons de faire qui tiennent compte des effectifs en place, des moyens disponibles et d’une volonté de marcher ensemble, comme chrétiens et chrétiennes qui se soutiennent dans la réalisation actuellement possible de proclamer et vivre l’Évangile.  

 

Comme on aime tant le chanter : « Hier c’est passé, o mon Dieu et demain ne m’appartient pas. Mon Dieu aide-moi, aujourd’hui guide-moi…un jour à la fois! »